LA FÉMINISATION DE LA PAUVRETÉ

« Face à la pauvreté, les femmes s’adaptent très vite. Elles trouvent le moyen de gagner de l’argent ».

Au Sénégal, la pauvreté est plus aiguë dans les zones rurales où la disponibilité des services et les opportunités de travail sont plus restreintes qu’en milieu urbain. Elle est plus probable chez les femmes que chez les hommes étant donné le moindre accès de celles-ci aux ressources et aux facteurs de production et leur plus grand isolement.

Le crédit, la terre, l’héritage, l’instruction, la formation, l’information, la vulgarisation, la technologie, les intrants agricoles sont plus aléatoires pour elles, sans compter leur pouvoir inégalitaire de décision sur leur propre production et celle du ménage.

Les incitations gouvernementales à la production favorisent le plus souvent les cultures de rente alors que les femmes sont davantage engagées dans les cultures vivrières.

En outre, la vulnérabilité des femmes prend certaines de ses racines au sein même de la famille: par exemple, pour l’inscription des enfants à l’école, dans les ménages pauvres, les parents préféreront investir sur les garçons et garderont les filles à la maison où elles assureront une partie du travail domestique et de production.

Dans toutes les sociétés, les femmes assument la majeure partie du travail domestique et sont les principales responsables de l’éducation des enfants et des soins aux personnes âgées et aux malades. La vie des femmes est énormément marquée par la reproduction qui a une influence directe et évidente sur leur état de santé et sur les opportunités d’accès à l’instruction, à l’emploi, aux revenus. Dans les sociétés où les femmes se marient très jeunes, et beaucoup plus précocement que les hommes, la subordination au mari sera plus forte et conditionnera les possibilités d’instruction, de travail, etc.

Pour citer ONU FEMMES,

« Les gouvernements ont accepté de changer de politique économique afin d’offrir davantage d’opportunités pour les femmes, d’améliorer les lois pour faire respecter les droits économiques et de renforcer l’accès au crédit. Ils se sont engagés à recueillir une meilleure information pour déterminer de quelle façon la pauvreté touche les femmes différemment, car il est essentiel de connaître un problème pour pouvoir le résoudre ».

Halima

LA FABRIQUE DES ÉLITES FÉMININES EN AFRIQUE OCCIDENTALE FRANÇAISE

Every girl deserves to go to school and have the basic tools she needs to get a quality education.

L’éducation, mission souvent avancée pour légitimer le fait colonial ne semble guère avoir touché les filles et a même creusé les écarts entre filles et garçons… D’après l’UNESCO, en 1950, le pourcentage d’enfants scolarisés dans le primaire est de 10% dans les colonies françaises. En AOF, en 1908, on compte une fille pour 11 garçons scolarisés, en 1938, une fille pour 9 garçons, en 1954, une fille pour 5 garçons. Ces différences sont, en grande partie, du fait de l’administration coloniale qui a des réticences à ouvrir l’enseignement aux filles.

Les Missionnaires et les nombreuses congrégations religieuses ont été les premiers à souhaiter scolariser les populations autochtones, indigènes, noir.e.s… En réalité, ils voulaient recueillir des âmes pour le Seigneur, le but était d’en faire des chrétiens. On peut alors imaginer le danger que suscita l’école pour les familles musulmanes…. Ainsi, l’école posa paradoxalement le problème de l’avenir de ces jeunes garçons et filles de confession musulmane.

Amadou Hampâté Ba, le sage de Bandiagara, le gardien des valeurs culturelles africaines considéré comme l’une des plus grandes voix d’Afrique – explique dans Amkoulel que sa mère était contre, de peur qu’il devienne un infidèle. Refuser que son enfant aille à l’école était une forme de résistance contre les colons. D’ailleurs, les indigènes ont eu du mal à accepter l’école pour leurs fils/leurs filles. Ils n’en voulaient pas. Colonisateurs et associés les ont contraint à se scolariser et /ou à devenir « civilisés »… en prenant en otage les fils de chefs.

Les mémoires de Yoro Dyao (Yoro Booli Jaw en wolof) expriment l’essentiel de la tradition orale wolof, plus spécifiquement, son Histoire des damels (souverains) du Cayor, remise en 1864, au Gouverneur Français Faidherbe. L’abbé Boilat, comme Yoro Dyao, fait partie des pionniers de l’historiographie sénégalaise. Tous deux proches collaborateurs de la France, leurs écrits – sur les us et coutumes – étaient destinés à l’administration coloniale. Amis de la France, ces colonisés ont tourné le dos à leur origine, famille etc. En outre, la scolarisation aggrava également les écarts sociaux puisqu’elle pénètre en premier chez les notables.

Les colonisateurs se sont très peu intéressés aux femmes autochtones, indigènes, noires. Ceux qu’il fallait instruire, former, civiliser étaient uniquement les hommes des 4 communes : SAINT-LOUIS, DAKAR, GORÉE, RUFISQUE. Le système colonial a favorisé les hommes en s’inspirant du modèle du paterfamilias du droit romain.

Pendant longtemps la recherche francophone a fait preuve d’une totale cécité à l’égard de l’histoire des femmes et du genre pendant la période coloniale. Le fait colonial étant une affaire d’hommes, on en a oublié qu’il ne s’exerçait pas que sur des hommes, et que, dans leur entreprise, les Européens avaient aussi souvent entraîné des femmes et colonisé des hommes et des femmes. C’est en pleine guerre, que les colonisateurs donneront de l’importance à la scolarisation des filles… et c’est à ce moment-là que débutera toute cette fabrique des élites féminines…

Mais avant, les fillettes indigènes, particulièrement les chrétiennes, bénéficient d’une éducation au rabais…Elles font les petites corvées et le ménage pour les bonnes sœurs.

Cet enseignement est avant tout idéologique et dispense les valeurs de la bourgeoisie européenne en proposant des cours de morale, de couture, de cuisine et de santé. Son objectif est de transformer les Africaines en mères compétentes et épouses vertueuses. Un enseignement essentiellement domestique.

Leur instruction se limita à l’école primaire… En revanche, les archives coloniales mettent en exergue l’histoire exceptionnelle d’ AWA HÉLÈNE COMTÉ, la première sénégalaise Major de la promotion, titulaire du Brevet Élémentaire en 1907.

J’ai eu l’immense honneur et le plaisir d’interviewer sa fille qui raconte :

« Je dois tout à ma mère…

Ma mère fut la première sénégalaise major de la promotion, titulaire du Brevet Élémentaire en 1907. Il n’était pas de bon temps d’envoyer une fille étudier à l’étranger même avec une bourse et mon grand-père déclina l’offre généreuse.

La déception était si grande pour ma mère qu’elle s’était jurée que ses enfants, filles comme garçons iraient aussi loin qu’ils pourraient dans l’acquisition de connaissances intellectuelles pour un mieux-être dans leur vie sociale ».

Pour se penser leader, déjà en tant que femme, encore faut-il avoir un modèle.

 

 

 

 

 

 

Halima

LA VIOLENCE FAITE AUX FEMMES (ET AUX HOMMES) EST L’AFFAIRE DE TOUTES ET DE TOUS…

J’ai reçu des fleurs aujourd’hui.
Ce n’était pas mon anniversaire ni un autre jour spécial.
Nous avons eu notre première dispute hier dans la nuit
Et il m’a dit beaucoup de choses cruelles qui m’ont vraiment blessée.
Je sais qu’il est désolé
Et qu’il n’a pas voulu dire les choses qu’il a dites
Parce qu’il m’a envoyé des fleurs aujourd’hui.

J’ai reçu des fleurs aujourd’hui.
Ce n’était pas notre anniversaire ni un autre jour spécial.
Hier, dans la nuit, il m’a poussée contre un mur et a commencé à m’étrangler.
Ça ressemblait à un cauchemar, je ne pouvais croire que c’était réel.
Je me suis réveillée ce matin le corps douloureux et meurtri.
Je sais qu’il doit être désolé
Parce qu’il m’a envoyé des fleurs aujourd’hui.

J’ai reçu des fleurs aujourd’hui
Et ce n’était pas la fête des mères ni un autre jour spécial.
Hier, dans la nuit, il m’a de nouveau battue,
C’était beaucoup plus violent que les autres fois.
Si je le quitte, que deviendrais-je?
Comment prendre soin de mes enfants? Et les problèmes financiers?
J’ai peur de lui mais je suis effrayée de partir.
Mais je sais qu’il doit être désolé
Parce qu’il m’a envoyé des fleurs aujourd’hui.

J’ai reçu des fleurs aujourd’hui.
Aujourd’hui c’était un jour très spécial,
C’était le jour de mes funérailles.
Hier dans la nuit, il m’a finalement tuée. Il m’a battue à mort.
Si seulement j’avais trouvé assez de courage pour le quitter,
Je n’aurais pas reçu de fleurs aujourd’hui………..

Texte publié pour dénoncer la violence faite aux femmes
(Auteur : Maria Stella Baldachino).

La violence a toujours existé. De nos jours, elle est activement dénoncée dans les médias. Mais ces derniers ne rapportent que la violence des hommes envers les autres hommes ou femmes et, très sporadiquement, celle commise par les femmes.

Au Sénégal, plusieurs organisations féminines prennent en charge dans leurs actions, la lutte contre les violences faites aux (filles et) femmes :

Cet intérêt est lié à la recrudescence des violences dont les femmes et les filles font l’objet. La fréquence des cas de filles/femmes violées et sauvagement tuées, des cas de viols collectifs a poussé les associations féminines à se mobiliser et à dire NON aux violences que les femmes subissent au quotidien. Les violences basées sur le genre, relatés quotidiennement dans les faits divers des journaux, montrent la banalisation de ces actes.

LAN NGA SOLOON ?

WHAT WERE YOU WEARING ?

T’ETAIS HABILLEE COMMENT ?

C’est la question à laquelle répondent les courts textes qui ont été consacrés à l’exposition du Musée de la femme Henriette Bathily, basés sur les témoignages et histoires de personnes victimes de viol au Sénégal et dans d’autres pays. Selon FATOU KINE DIOP,  » A l’origine de cette démarche, un constat indéniable : les victimes sont trop renvoyées à leur habillement, comme moyen pour les culpabiliser, pour leur faire porter la charge de la violence qu’elles ont subie ».

« Oui mais, t’étais habillée comment ? »

De plus, il y a un manque criard de statistiques fiables sur la prévalence des actes de violence basés sur le genre et sur les facteurs qui leur sont associés, de sorte qu’il est difficile de construire, de mettre en œuvre et d’évaluer des réponses alors que la lutte contre les violences basées sur le genre fait l’objet de dispositions internationales prises par les Nations-Unies et les organismes interafricains, « Convention et le Protocole Additionnel sur l’Elimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, Déclaration des Nations-Unies sur l’Elimination de la violence contre les femmes, Dispositions de la Plate-forme de la Conférence de Beijing de 1995 sur les violences et sur la protection des femmes, Dispositions de la Déclaration du Millénaire sur les formes de violences à l’encontre des femmes, Résolution des Nations-Unies sur l’Intensification des Efforts pour Eliminer toutes les Formes de violences à l’Egard des Femmes, Campagne visant à l’éradication de la violence faites aux femmes etc. ».

Bien que le Sénégal ait ratifié la plupart des conventions internationales concernant la protection contre les violences basées sur le genre et adapté sa législation nationale à ce propos, les femmes continuent de subir des violences. Le droit coutumier et les pratiques traditionnelles, surtout dans les régions rurales prévalent sur le droit national pour régler des questions telles que l’âge du mariage, la violence domestique, les MGF (Mutilations Génitales Féminines) et l’héritage des biens fonciers [inégalités de genre en matière de droits et de justice].

Cette contribution a pour ambition – dans un premier temps –  de soulever la violence cachée dans la vie maritale au nom du mũn sénégalais, sorte de fourre-tout (comportement, attitude, travail de care dans l’espace privé), qui conditionne les femmes à de nombreuses restrictions, entrave leur épanouissement, leur dignité… Le mũn est un mot wolof, qui signifie endurer, patienter, supporter. Et dans le cadre du mariage, il est attendu que les femmes mũn quatre fois plus que les hommes.

Ce mũn exigé des femmes inhibe toute contestation possible dans la vie de couple et légitime l’autorité de l’époux sur son épouse qui doit se soumettre et qui doit taire ce qu’elle vit dans son ménage. Un des exemples très médiatisé de mũn est celui de FATOU DIENG de DIOURBEL qui pendant vingt ans a été violentée par son mari. Cette histoire a permis à d’autres victimes de lever les tabous sur les violences conjugales : insultes, paroles de dénigrement explicites, une élévation de ton à des fins d’intimidation, des paroles de dénigrement implicite mais aussi des actes de violences de genre [violence homme-femme mais aussi femme-femme en cas de polygamie] : gifles, coups de poings, de pieds, de tête, morsures, coups avec une ceinture, une chaine, un fouet, un bâton, une canne, coups avec un pilon, louche ou tout autre ustensile de cuisine, brulures avec cigarette ou braise, ligoté ou enchainé pour être battu… Etc.

Quand elles acceptent de témoigner, nombreuses sont les femmes qui affirment que leurs enfants ont été insultés ou brutalisés dans le but de les atteindre. Face à toutes ces formes de violences, recensées en majeure partie dans les villes de Kolda et Ziguinchor, porter plainte est problématique pour les victimes… Car c’est aggraver la situation, c’est accuser le mari [son aînée social, protecteur, tuteur social], c’est renoncer à son mariage, c’est se mettre à dos sa belle-famille et c’est exhiber sa vie maritale alors que les us et coutumes recommandent de taire tout ce qui est de l’ordre du privé.

Dès lors quel regard peut-on porter sur le mũn qui est pourtant considéré comme une vertu féminine ? Dans le discours normatif dominant, les femmes exemplaires sont celles qui mũn et qui font le bonheur de leur époux [sans jamais oser dire les choses telles qu’elles sont].

Ainsi, une femme se doit d’être douce en toutes circonstances. Elle ne doit pas répondre, contredire, contrarier. Le monde de la franchise est le monde de l’homme. Son monde à elle est celui des sous-entendus, des signes (des paillettes et du rose pastel). Elle doit rester à sa place.

Étant consciente que les femmes ne constituent pas une catégorie homogène, ce sont les femmes qui n’ont pas le pouvoir économique qui sont le plus conditionnées par le mũn. Ces dernières sont hélas, majoritaires et cachent une souffrance résultant quelques fois de violences physiques ou mentales…

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les hommes aussi mũn. Ils peuvent vivre de violences au sein du couple :

« Si le féminisme nous a ouvert les yeux sur la violence conjugale. Il a contribué et continue de contribuer à l’évolution positive de notre société. Certaines féministes, par contre, n’ont ouvert qu’un seul œil sur cette violence : celle faite aux femmes. Elles ont délibérément fermé l’autre œil, celui qui devrait être ouvert sur la violence faite aux hommes. La raison en est très simple : elles ont fait de la violence conjugale un débat politique, où l’homme est perçu comme l’abuseur et la femme la victime, plutôt que de présenter la violence dans son intégralité. Or, c’est un réel phénomène social dont les causes et les solutions ne sont pas d’ordre politique ou sexuel, mais plutôt socio-économique » (Yvon Dallaire).

 

 

 

 

Halima